Marchigianista: un album et un manifeste
“Marche, Marches, Marchigiano (habitant des Marches), Marchigianesco, … Marchigianista!
Assez avec les contaminations : l’heure est à l’anthropophagie musicale”.
São Paulo, Brésil, le premier mai 1928, année 374 de la « déglutition » de l’évêque Sardinha, Oswald de Andrade publie
dans la Revista de Antropofagia son « Manifeste anthropophage » : de celle-ci naîtra ensuite et croîtra le mouvement musical et culturel « tropicalista » brésilien.
Porto Recanati, Marches, Italie centrale, le 18 octobre 2011, jour de Saint Luc l’évangéliste, je décide de publier sur le web mon album musical intitulé, en honneur de ce manifeste poétique et de ce mouvement, … Marchigianista!
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Marchigianista en effet n’est pas seulement le titre d’un album musical. Marchigianista est à son tour un manifeste poétique,
un projet culturel, c’est une philosophie de vie, et, si pas un mouvement musical, du moins un groupe musical qui fait bouger !
« La gaieté est la preuve par neuf » répète plusieurs fois de Andrade dans « Manifeste anthropophage ».
L’anthropophagie culturelle est à la base de Marchigianista: plus précisément l’anthropophagie musicale, pas de vile « contamination ».
Contaminer veut dire littéralement polluer, salir, déshonorer. La contamination crée une réalité chaotique puisque le contaminant et le contaminé demeurent distincts de façon désordonnée.
Manger au contraire signifie se nourrir de ce qu’on mange, signifie englober, digérer, assimiler, métaboliser. Manger donne vigueur et force, crée ordre, vie.
Manger rituellement l’ennemi, l’autre, permet d’en assimiler et d’en conserver la force, la vertu ; le tabou se transforme ainsi, définitivement, en Totem.
Tout en étant loin de nous dans le temps, dans l’espace et de par les bases culturelles dont il prend vie, le modernisme brésilien peut nous fournir de toute manière des stimuli fondamentaux.
La culture traditionnelle des Marches est périphérique par rapport à la culture dominante de masse (celle de la télévision populaire) mais aussi par rapport aux cultures traditionnelles d’autres zones d’Italie qui sont devenues centrales dans les dernières décennies grâce à d’efficaces opérations de revival dans différents domaines (le revival de la musique traditionnelle de Salento est exemplaire).
Avec le projet Marchigianista, j’ai essayé de suivre les traces des intellectuels brésiliens du siècle passé pour créer une musique qui reste essentiellement des Marches, solidement attachée à ses racines, mais qui dans le même temps devienne universelle, compréhensible partout et « exportable ». Pour obtenir ce résultat, j’ai avant tout rendu centralité à la culture de ma terre, les Marches, qui souvent existent à peine dans l’imaginaire collectif.
Je suis parti de la connaissance et, quand c’est nécessaire, de la reconstruction et revitalisation de la culture traditionnelle des Marches ; simultanément, j’ai fait en sorte que cette culture traditionnelle, après s’être régénérée, prenne encore vigueur en se nourrissant de stimuli culturels et musicaux différents et souvent lointains.
J’ai commencé par parcourir l’axe temporel passé/présent à l’intérieur du territoire pour choisir le matériel sur lequel travailler : chants et danses traditionnels, mes compositions inspirées de la musique traditionnelle ou de musiques contenues dans des manuscrits du passé, des textes populaires ou d’auteur, des mythes, légendes, de faits historiques peu connus qui se sont passés dans les Marches.
J’ai ensuite parcouru l’axe spatial interne/externe pour réaliser des arrangements et des improvisations qui partent de la musique traditionnelle des Marches mais qui s’inspirent aussi d’autres sources, de sources internationales : le rock progressif, le jazz rock, le folk revival français et anglo-américain, la musique latino-américaine.
Le choix des instruments musicaux utilisés aussi a suivi les mêmes grandes lignes que le répertoire et les arrangements, synthétisant traditionnel et moderne, acoustique et électrique. Mes « soufflets » (l’accordéon piano et l’accordéon diatonique) et ma voix donnent vie au feu central de Marchigianista autour duquel tournent la guitare folk, la guitare électrique et la contrebasse de Francesco Tesei, la basse électrique de Leandro Scocco et la batterie de Mauro Mencaroni (batteur historique des Agorà, groupe jazz rock des Marches qui dans les années soixante-dix était connu et apprécié à niveau international).
La base poétique de Marchigianista et de sa voracité musicale peuvent donc être trouvées dans les écrits de Oswald de Andrade. Certaines déclarations de l’intellectuel brésilien peuvent être d’excellentes clés d’interprétation : « le travail contre le détail naturaliste – pour la synthèse ; contre la morbidité romantique – pour l’équilibre géométrique et pour la finition technique ; contre la copie, pour l’invention et pour la surprise » (tiré du « Manifeste sur la poésie Pau-Brasil »); « la gaieté est le preuve par neuf. […] Contre la mémoire source de coutume. L’expérience personnelle renouvelée » (tiré du « Manifeste anthropophage »).